Au-delà des refus d'Emmanuel Macron, un autre coup de force, bien plus grave, se déroule là où personne ne regarde. L'actuel gouvernement démissionnaire-démissionné gouverne sur le fondement d'une note de ses propres services, qui estime le gouvernement incensurable tout en lui attribuant d'importants pouvoirs de décision. Cela pourrait redéfinir le régime.
L’information a fait l’effet d’une bombe samedi dernier, le 24 août.
Le milliardaire russe Pavel Durov, fondateur de Telegram, a été arrêté à l’aéroport du Bourget, alors qu’il débarquait en France à bord d’un avion privé.
Telegram, ce n’est pas n’importe quelle application. La messagerie cryptée, alternative au célèbre Whatsapp, compte près d’un milliard d’utilisateurs dans le monde. En France, elle s’est notamment fait connaître en 2017, via le coup de pub offert par les macronistes, qui l’utilisaient dans le cadre de leurs échanges de campagne.
On parle de complicité dans des actes de terrorisme, de pédocriminalité et de modération défaillante sur Telegram. Pourquoi, au fond, Pavel Durov a-t-il donc été arrêté ?
Jusqu’où ira cette affaire ? En quoi Telegram dérange plus que Whatsapp ou Signal ? Est-ce qu’il s’agit là d’un précédent fâcheux pour la liberté d’expression en France et en Europe ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons fait appel à Fabrice Epelboin, spécialiste des réseaux sociaux, entrepreneur et enseignant à Sciences Po et à l’IAE de Poitiers.
Même quand on gagne, on perd : le résultat d'un système politico-médiatique qui fait barrage à toute mesure sociale. Le cordon bourgeois.
En juin dernier, les Belges ont élu leurs députés. Dans un pays divisé entre Flamands et Wallons, une diversité de partis représentants à la fois des intérêts régionaux et des idéaux politiques sont présents au Parlement, de telle sorte que la composition d’une coalition gouvernementale peut prendre du temps. C’est pourquoi le roi désigne un formateur de gouvernement, généralement le leader du parti arrivé en tête (qui n’est jamais majoritaire vu le mode de scrutin proportionnel). Celui-ci doit tenter de former une coalition qui tienne la route et, s’il n’y parvient pas, il passe la main au suivant, le plus souvent la seconde force politique représentée, jusqu’à ce qu’un gouvernement soit formé.
C’est ainsi que les choses se passent dans la plupart des pays d’Europe (Grèce, Allemagne, Espagne…). La vie politique belge a toutefois une originalité : un système de cordon sanitaire engage les partis à ne jamais composer de gouvernement avec l’extrême-droite. Montée au début des années 1990, cette pratique repose sur un constat simple : les partis d’extrême-droite ont des idées communes avec l’envahisseur nazi, ce qui justifie leur mise au ban. Cette mise au ban se fait aussi sur le plan médiatique : on n'invite pas ou peu les politiciens d’extrême-droite et on les traite différemment. Par conséquent, l’extrême-droite progresse en Belgique mais plus lentement, en particulier en Wallonie, que dans le reste de l’Europe.
Revenons en France : le cordon sanitaire à l’extrême-droite n’existe pas, bien au contraire. Le président de la République a décidé la tenue d’élections législatives au moment où l’extrême-droite était au plus haut. La plupart des médias ont aussitôt décrit sa victoire comme inéluctable, à grand renfort de sondages qui se sont tous révélés complètement mensongers. Au terme d’une campagne électorale où a eu lieu une alliance inédite de la gauche d’une part et une mobilisation citoyenne d’une grande ampleur d’autre part, les élections ont placé l’Assemblée nationale dans une situation comparable à la plupart des parlements d’Europe : aucun groupe ou alliance n’a de majorité absolue mais un groupe est bel et bien en tête, le Nouveau Front Populaire donc. Tout le monde s’était trompé, à commencer par le Président qui voulait le RN au pouvoir mais également tous les instituts de sondages et tous les éditorialistes.
Mais depuis… rien ne se passe comme dans les autres régimes politiques européens. D’abord, l’ensemble des grands médias et la classe politique dominante ont battu en brèche l’idée selon laquelle ça serait au groupe arrivé en tête de tenter de former un gouvernement. Ensuite, le Président n’a nommé personne, arguant de la prééminence des Jeux olympiques. Puis, il a commencé une série de rencontres de type “entretien d’embauche” pour trouver le bon candidat, au mépris complet du résultat des élections.
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Les choses sont désormais très claires : le système politique français et sa classe dominante ont conçu un système d’apparence démocratique où il est uniquement possible de choisir entre les options qui ont sa préférence. Actuellement : la droite antisociale et colonialiste ou bien l’extrême-droite antisociale et raciste. Toute autre option qui remettrait en cause les conditions de la prospérité des possédants – régime fiscal préférentiel et détournement d’argent public, dans le cas actuel – doit être rayée du menu. C’est le cordon bourgeois : un système politique et médiatique tacite, instinctivement partagé par les membres et sous-membres de la classe dominante, qui vise à empêcher l’accession au pouvoir de toute option contraire à leurs intérêts, même lorsque cette option est modérée.
Il a osé le dire : «Nous qui avons vécu pendant plus de deux semaines dans un pays où on avait le sentiment que quelque chose avait changé […] on n’a pas envie que la vie reprenne ses droits. Parce qu’au fond la vie c’est ce qu’on a vécu ces dernières semaines. C’est ça la vraie vie […] et donc ça doit continuer. C’est ça le vrai visage de la France».
«En plein JO et alors que le pays n’a plus de gouvernement, le président a décidé de partir en vacances» explique l’hebdomadaire people Voici, dans son édition du 2 au 8 août 2024. Le numéro dévoile de fausses images «spontanées» de Macron qui s’amuse à la mer, au fort de Brégançon, la villa de vacances des présidents français.
Les photos frôlent le grotesque : on y voit Macron jouer sur un bateau avec des hommes musclés et tatoués qui semblent être ses gardes du corps. Rappelons que Voici appartient au milliardaire d’extrême droite Bolloré, et que ce «reportage» est évidemment une mise en scène à la gloire du président, montré comme “humain”, “souriant”, jouant virilement dans l’eau avec ses copains. C’est contre-productif : dans la période de crise sociale et politique, il a de quoi faire grincer des dents.
Mais un autre détail retient l’attention. Sur la photo publiée en couverture, on voit Macron sauter dans l’eau à côté d’un agent de sécurité qui porte un curieux tatouage sur le bras : une tête de mort.
Il s’agit en fait du logo du Punisher, un personnage de policier violent, utilisé comme emblème par l’extrême droite. The Punisher est un anti-héros tiré de l’univers Marvel, et créé par le scénariste Gerry Conway en 1974. Dans cette fiction, il s’agit d’un ancien soldat du corps des Marines devenu policier, dont la famille a été assassinée. Le flic décide de basculer dans l’ultra-violence et la vengeance.
Incroyable : mardi dernier sur France 2, le Président a réalisé l’exploit de donner une interview LUNAIRE sans aucune combinaison spatiale ni bouteille d’oxygène !
Nous on s’attendait à ce qu’il nomme Lucie Castets première ministre, qu’il annonce sa démission en direct, ou au moins, qu’il suspende la loi immigration, mais pas du tout : lui tout ce qu’il avait en tête c’était l’image de Céline Dion chantant la Marseillaise a capella sur la scène lors de la Cérémonie d’ouverture de ses JO. ...
La poussée de l’extrême-droite qui a marqué les élections au Parlement européen dans plusieurs pays de l’Union, le 9 juin, a pris en France une tournure imprévue. Sans s’embarrasser des consultations que prévoit la Constitution, Emmanuel Macron a dissous le soir même l’Assemblée nationale en prenant acte de la victoire du Rassemblement national – et ce, bien que les deux institutions parlementaires n’aient aucun lien entre elles et que le désaveu de la majorité en place lors du scrutin européen soit presque un classique de la Ve République.
L’effet de sidération sur le pays a été total. Fidèle à sa carrière, Emmanuel Macron s’est toujours voulu « disruptif ». En l’occurrence il a prétendu « clarifier » la situation et « apaiser » la nation. Mais le cours inopiné des événements a prouvé qu’il a perdu la main depuis sa réélection ratée de 2022. Certes le Rassemblement national, après avoir confirmé sa progression lors du premier tour, le 30 juin, s’est trouvé relégué en troisième position à l’issue du second, le 7 juillet. Symboliquement il est le grand perdant de la consultation, même s’il a confirmé sa place de premier parti politique de France. Au fil de la campagne du second tour l’électorat a compris qu’il n’était pas devenu aussi présentable qu’il le prétendait et qu’il n’était pas (encore ?) capable de gouverner. Il est aussi possible que la concomitance des élections britanniques ait mis en valeur le désastre que fut le Brexit et incité les électeurs français à la prudence en matière d’irresponsabilité populiste.
Face à la défaite de son camp aux élections européennes, Emmanuel Macron expliquait devant un parterre de journalistes le 12 juin qu'il assumait « engager un mouvement de clarification » en ayant dissous l'Assemblée nationale, convoquant des législatives éclaires trois semaines plus tard.
Trois semaines d'aboiements médiatiques s'en sont suivi, tentant de disqualifier le seul bloc qui pourrait faire face à la vague d'extrême droite : le Nouveau Front populaire. Inlassablement, les mêmes éléments de langage en boucle sur les plateaux : « extrême gauche », « antisémite », « une union qui ne vaut pas mieux que l'extrême droite », « cordon sanitaire autour de LFI », ou encore "ennemi politique". Toutes les stratégies de communication sont bonnes pour tenter de sauver ce qui peut l'être, dans la rhétorique du « moi ou le chaos ».
Ce président, qui se présentait 7 ans plus tôt comme le rempart à l'extrême droite a finalement précipité son accession au pouvoir, en 9’57 minutes chrono.
Eugénie Mérieau, juriste, politiste, constitutionnaliste, enseignante à l’université de Paris 1, a récemment publié deux ouvrages : La dictature, une antithèse à la démocratie ? et Géopolitique de l’état d’urgence. Sous couvert de petits livres sur le droit et les régimes politiques - sujet qui généralement nous échappent par leur formalisme et leur rigorisme tout abstrait -, ce sont peut-être les textes les plus denses, diaphanes et radicaux, les plus heureusement et puissamment critiques de la « tradition libérale-impériale » qu’on ait pu lire depuis bien longtemps. Dans cet entretien, non seulement la démocratie libérale représentative ne nous apparaît plus comme l’antithèse de la dictature mais comme l’une de ses modalités possibles ; mais la dictature même, par l’étude comparative des régimes politiques, se voit revêtue de toutes les propriétés que valorise en réalité le néo-libéralisme économique et ses critères de sanctification.
« Une autre caractéristique souvent associée au syndrome narcissique tient au désir de rester au pouvoir à vie. Or, la présidence à vie est également rationnelle : une fois hors du pouvoir miroite la perspective d’une condamnation, d’un assassinat, d’une saisine des biens ou les trois à la fois. (…) les dictateurs sont en ce sens les prisonniers de leur passé répressif. Pour la plupart d’entre eux, il n’y a pas d’« exit strategy », à l’exception de l’exil »
Alors que le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale au lendemain des élections européennes risque de renforcer le poids de l’extrême droite, nous partageons l’inquiétude exprimée par beaucoup face au risque important que ce tremblement de terre politique fait peser sur la démocratie et les libertés. L’idéologie du Rassemblement National, entièrement tournée vers la création de droits différenciés sur des fondements racistes et réactionnaires, ne peut exister sans une structure de pouvoir forte et centralisée. C’est pourquoi nous ne doutons pas qu’un gouvernement d’extrême droite utilisera et renforcera la surveillance de la population pour exercer son pouvoir. Il aura, par exemple, besoin du fichage pour identifier les personnes à qui retirer des droits, de l’écosystème de surveillance pour traquer les personnes qu’il veut expulser, maltraiter ou enfermer ou encore des lois de censure et coercitives pour faire taire les oppositions anti-fascistes.
Emmanuel Macron a fait son choix. Un pari stupide qui risque de transformer le marchepied, qu’il met en place pour l’extrême-droite depuis des années, en fusée. La dissolution de l’Assemblée nationale peut porter le RN à Matignon et lui assurer une victoire en 2027 grâce à un accès à des outils de surveillance numérique que nous dénonçons depuis 2011.
On est parfois tenté de biologiser l’histoire, d’y voir des récidives et des cycles de maladies. Mais depuis un certain temps, on a envie de la psychiatriser. La dissolution de l’Assemblée nationale a fait remonter cette question essentielle : la politique, celle du macronisme, est-elle une perversion narcissique ? Quoi qu’il en soit, il faut rappeler cet avertissement de Racamier : « il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ».
Quelques heures après avoir offert au Rassemblement national la plus spectaculaire victoire électorale de son histoire et dissous l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron, très content de lui, a fait, à Oradour-sur-Glane, village martyr anéanti par les Waffen SS, une déclaration stupéfiante de brutalité et d’indécence.