« Coup d’État », « dictature », « illibéralisme », des qualificatifs que l’on entend, par ci par là, depuis la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron à la suite des élections européennes. Et d’autant plus depuis la nomination de Michel Barnier en tant que premier ministre, homme issu d’une formation minoritaire à l’Assemblée nationale.
Alors, qu’en est-il ? La constitutionnaliste Eugénie Mérieau propose un pas de côté. Bien que toute cette « séquence » soit conforme, si on suit la lettre, à la Constitution de la Ve République, encore faut-il s’intéresser à la nature même de cette dernière. Et remonter à la manière dont, dès l’annonce de sa mise en place, la Ve République s’inscrit dans une logique de Coup d’État.
Aussi, et peut-être surtout, voir un peu au-delà : comprendre comment l’État d’urgence permanent, notamment sous la présidence d’Emmanuel Macron, a subvertit l’État de droit en profondeur. Si bien que la France n’a aujourd’hui rien à envier aux pays voisins qualifiés, parfois avec un certain dédain, « d’illibéraux ».
“La situation budgétaire que je découvre est très grave” : la sortie du Premier ministre issu du coup d’Etat institutionnel de Macron est un classique des gouvernements bourgeois. Dramatiser la situation financière du pays permet de légitimer par avance des politiques de destruction des services publics. Déjà en 2007, le Premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon, le disait “je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite”… et ce alors que lui-même faisait partie du précédent gouvernement, sous Jacques Chirac. Tous ces gens aux commandes du pays depuis trente ans s’accusent mutuellement des déficits publics, s’en déresponsabilisent et surtout les exagèrent pour alimenter leurs politiques antisociales. Mais ce coup-ci, les faits sont là : de l’argent a été massivement dépensé durant sept ans, creusant considérablement la dette publique. Or, cet argent n’a pas servi à améliorer nos conditions de vie, par exemple via des services publics de qualité. Au contraire, ces derniers se sont considérablement dégradés. Alors où est passé l’argent ? Puisque le journalisme mainstream a la mémoire courte, retour chronologique sur les principaux vols commis par le macronisme en sept ans, pendant lesquels l’argent est passé de nos poches à celles des possédants.
«Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement… Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre?» Bertolt Brecht, La Solution,1953
Les vers ironiques de Brecht viennent d’être mis réellement en pratique par Emmanuel Macron. Son parti est passé de 2017 à 2024 de 314 à 99 député·e·s à l’Assemblée nationale. Il a été battu lors des élections européennes et des législatives de juin/juillet 2024. Lors de ces mêmes élections législatives, au second tour, un front électoral contre le Rassemblement national (RN) a été réalisé par tous les partis, sauf le petit parti de droite des Républicains (LR). Le barrage a fonctionné, déjouant tous les pronostics, le RN ne réussissant même pas à obtenir une majorité relative. La formation arrivée en tête après ce second tour a été clairement le Nouveau front populaire (NFP), suivi du «bloc du centre» et du RN.
Malgré ces résultats, on arrive, début septembre, à la formation d’un gouvernement dirigé par un vieux politicien des Républicains, Michel Barnier, qui va recycler bon nombre de responsables de la «majorité présidentielle», pour continuer la même politique et qui ne pourra survivre que par l’engagement du Rassemblement national de ne pas le faire tomber par une motion de censure.
Samuel Hayat est l'un des politistes les plus fins du moment. Passionné de Démocratie (Anamosa, 2020), contempteur des gilets jaunes, Hayat est entre autres chercheur à Sciences Po Paris. Avec lui, on a décortiqué la crise de régime dans laquelle la France patauge. Des institutions à terre, une République représentative qui ne représente qu'elle-même, et comment on peut s'extirper du bazar.
Les macronistes ont organisé le barrage bourgeois en faisant une coalition avec le RN. Cela a abouti à la nomination de Michel Barnier.
Emmanuel Macron voulait une cohabitation avec le RN pour l’affaiblir en vue de 2027. C’était sans compter l’arrivée en tête du NFP qu’aucun politicien de droite, éditorialiste et sondagier n’avait anticipé. Après avoir réussi à se maintenir deuxième force politique en nombre de députés grâce au barrage anti-RN, les macronistes devaient donc organiser le barrage bourgeois, anti-gauche, en faisant une coalition avec le RN. Cela a pris près de deux mois et a abouti à la nomination de Michel Barnier ce jeudi 5 septembre. Qui est ce sinistre personnage et qu’est-ce que cette nomination nous dit de la période ?
Les élections ne servent plus à rien : c’est ce qu’on appelle une dictature
« Une dictature, c’est un régime ou une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais.” Cette phrase est de Macron lui-même. Nous y sommes. Macron est un Trump qui a réussi : malgré une défaite électorale cuisante et claire, ce dernier est parvenu à rejeter les trois messages de cette élection, c’est-à-dire le barrage anti-RN, l’arrivée en tête de la gauche et le désir d’une cohabitation. Il y est parvenu en faisant alliance avec le RN pour barrer la gauche et nommer un premier ministre qui assure la continuité de sa politique et de son contrôle.
Emmanuel Macron a enfin pris sa décision : Michel Barnier, vieux baroudeur de la droite, est nommé Premier ministre. Cette décision vient définitivement acter le déni de démocratie du président de la République qui, malgré des supposées consultations, a refusé de nommer Lucie Castets, la candidate de la formation politique arrivée en tête aux élections législatives. Une pratique du pouvoir contre la démocratie qui, dans le mouvement néolibéral dont Emmanuel Macron est un membre éminent, apparaît comme une constante. Le coup d’État d’Augusto Pinochet, au Chili en 1973, est un laboratoire du genre. Le premier réflexe de la junte militaire a été d’abroger la précédente Constitution pour, dans un second temps, en produire une nouvelle sur-mesure, à partir de rien, en 1980. Un héritage perpétré par Javier Milei, le président de l’Argentine. Contexte différent, méthode différente : devant l’impossibilité d’écrire une nouvelle constitution, il opte pour le contournement et la réforme. Une dynamique qui raisonne avec l’exercice du pouvoir des gouvernements sous Emmanuel Macron qui enchaînent les 49.3 et poussent à leurs limites les articles les plus autoritaires de la Ve République. Quitte à jouer avec les frontières de la légalité. Pour lutter contre cette « nouvelle raison du monde » anti-démocratique, notre invité, le philosophe Pierre Dardot, travaille autour de « l’imaginaire des communs ». Une proposition loin d’être seulement théorique : de nombreuses pratiques concrètes s’ancrent déjà dans cette logique, à l’image du mouvement des Soulèvements de la Terre.
« Tu as été un artisan déterminé et déterminant des politiques probusiness.» Lundi, Patrick Martin, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), principale association patronale du pays, a eu des mots doux pour Bruno Le Maire, ministre de l’Economie – démissionnaire – du gouvernement Macron. Dans la foulée, l’entrepreneur a fustigé le programme du Nouveau Front populaire (NFP) et deux de ses mesures phares – la hausse du Smic
Au-delà des refus d'Emmanuel Macron, un autre coup de force, bien plus grave, se déroule là où personne ne regarde. L'actuel gouvernement démissionnaire-démissionné gouverne sur le fondement d'une note de ses propres services, qui estime le gouvernement incensurable tout en lui attribuant d'importants pouvoirs de décision. Cela pourrait redéfinir le régime.
L’information a fait l’effet d’une bombe samedi dernier, le 24 août.
Le milliardaire russe Pavel Durov, fondateur de Telegram, a été arrêté à l’aéroport du Bourget, alors qu’il débarquait en France à bord d’un avion privé.
Telegram, ce n’est pas n’importe quelle application. La messagerie cryptée, alternative au célèbre Whatsapp, compte près d’un milliard d’utilisateurs dans le monde. En France, elle s’est notamment fait connaître en 2017, via le coup de pub offert par les macronistes, qui l’utilisaient dans le cadre de leurs échanges de campagne.
On parle de complicité dans des actes de terrorisme, de pédocriminalité et de modération défaillante sur Telegram. Pourquoi, au fond, Pavel Durov a-t-il donc été arrêté ?
Jusqu’où ira cette affaire ? En quoi Telegram dérange plus que Whatsapp ou Signal ? Est-ce qu’il s’agit là d’un précédent fâcheux pour la liberté d’expression en France et en Europe ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons fait appel à Fabrice Epelboin, spécialiste des réseaux sociaux, entrepreneur et enseignant à Sciences Po et à l’IAE de Poitiers.
Même quand on gagne, on perd : le résultat d'un système politico-médiatique qui fait barrage à toute mesure sociale. Le cordon bourgeois.
En juin dernier, les Belges ont élu leurs députés. Dans un pays divisé entre Flamands et Wallons, une diversité de partis représentants à la fois des intérêts régionaux et des idéaux politiques sont présents au Parlement, de telle sorte que la composition d’une coalition gouvernementale peut prendre du temps. C’est pourquoi le roi désigne un formateur de gouvernement, généralement le leader du parti arrivé en tête (qui n’est jamais majoritaire vu le mode de scrutin proportionnel). Celui-ci doit tenter de former une coalition qui tienne la route et, s’il n’y parvient pas, il passe la main au suivant, le plus souvent la seconde force politique représentée, jusqu’à ce qu’un gouvernement soit formé.
C’est ainsi que les choses se passent dans la plupart des pays d’Europe (Grèce, Allemagne, Espagne…). La vie politique belge a toutefois une originalité : un système de cordon sanitaire engage les partis à ne jamais composer de gouvernement avec l’extrême-droite. Montée au début des années 1990, cette pratique repose sur un constat simple : les partis d’extrême-droite ont des idées communes avec l’envahisseur nazi, ce qui justifie leur mise au ban. Cette mise au ban se fait aussi sur le plan médiatique : on n'invite pas ou peu les politiciens d’extrême-droite et on les traite différemment. Par conséquent, l’extrême-droite progresse en Belgique mais plus lentement, en particulier en Wallonie, que dans le reste de l’Europe.
Revenons en France : le cordon sanitaire à l’extrême-droite n’existe pas, bien au contraire. Le président de la République a décidé la tenue d’élections législatives au moment où l’extrême-droite était au plus haut. La plupart des médias ont aussitôt décrit sa victoire comme inéluctable, à grand renfort de sondages qui se sont tous révélés complètement mensongers. Au terme d’une campagne électorale où a eu lieu une alliance inédite de la gauche d’une part et une mobilisation citoyenne d’une grande ampleur d’autre part, les élections ont placé l’Assemblée nationale dans une situation comparable à la plupart des parlements d’Europe : aucun groupe ou alliance n’a de majorité absolue mais un groupe est bel et bien en tête, le Nouveau Front Populaire donc. Tout le monde s’était trompé, à commencer par le Président qui voulait le RN au pouvoir mais également tous les instituts de sondages et tous les éditorialistes.
Mais depuis… rien ne se passe comme dans les autres régimes politiques européens. D’abord, l’ensemble des grands médias et la classe politique dominante ont battu en brèche l’idée selon laquelle ça serait au groupe arrivé en tête de tenter de former un gouvernement. Ensuite, le Président n’a nommé personne, arguant de la prééminence des Jeux olympiques. Puis, il a commencé une série de rencontres de type “entretien d’embauche” pour trouver le bon candidat, au mépris complet du résultat des élections.
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Les choses sont désormais très claires : le système politique français et sa classe dominante ont conçu un système d’apparence démocratique où il est uniquement possible de choisir entre les options qui ont sa préférence. Actuellement : la droite antisociale et colonialiste ou bien l’extrême-droite antisociale et raciste. Toute autre option qui remettrait en cause les conditions de la prospérité des possédants – régime fiscal préférentiel et détournement d’argent public, dans le cas actuel – doit être rayée du menu. C’est le cordon bourgeois : un système politique et médiatique tacite, instinctivement partagé par les membres et sous-membres de la classe dominante, qui vise à empêcher l’accession au pouvoir de toute option contraire à leurs intérêts, même lorsque cette option est modérée.
Il a osé le dire : «Nous qui avons vécu pendant plus de deux semaines dans un pays où on avait le sentiment que quelque chose avait changé […] on n’a pas envie que la vie reprenne ses droits. Parce qu’au fond la vie c’est ce qu’on a vécu ces dernières semaines. C’est ça la vraie vie […] et donc ça doit continuer. C’est ça le vrai visage de la France».
«En plein JO et alors que le pays n’a plus de gouvernement, le président a décidé de partir en vacances» explique l’hebdomadaire people Voici, dans son édition du 2 au 8 août 2024. Le numéro dévoile de fausses images «spontanées» de Macron qui s’amuse à la mer, au fort de Brégançon, la villa de vacances des présidents français.
Les photos frôlent le grotesque : on y voit Macron jouer sur un bateau avec des hommes musclés et tatoués qui semblent être ses gardes du corps. Rappelons que Voici appartient au milliardaire d’extrême droite Bolloré, et que ce «reportage» est évidemment une mise en scène à la gloire du président, montré comme “humain”, “souriant”, jouant virilement dans l’eau avec ses copains. C’est contre-productif : dans la période de crise sociale et politique, il a de quoi faire grincer des dents.
Mais un autre détail retient l’attention. Sur la photo publiée en couverture, on voit Macron sauter dans l’eau à côté d’un agent de sécurité qui porte un curieux tatouage sur le bras : une tête de mort.
Il s’agit en fait du logo du Punisher, un personnage de policier violent, utilisé comme emblème par l’extrême droite. The Punisher est un anti-héros tiré de l’univers Marvel, et créé par le scénariste Gerry Conway en 1974. Dans cette fiction, il s’agit d’un ancien soldat du corps des Marines devenu policier, dont la famille a été assassinée. Le flic décide de basculer dans l’ultra-violence et la vengeance.
Incroyable : mardi dernier sur France 2, le Président a réalisé l’exploit de donner une interview LUNAIRE sans aucune combinaison spatiale ni bouteille d’oxygène !
Nous on s’attendait à ce qu’il nomme Lucie Castets première ministre, qu’il annonce sa démission en direct, ou au moins, qu’il suspende la loi immigration, mais pas du tout : lui tout ce qu’il avait en tête c’était l’image de Céline Dion chantant la Marseillaise a capella sur la scène lors de la Cérémonie d’ouverture de ses JO. ...