Des figures de l'opposition iranienne en exil ont pris position en faveur des frappes israéliennes au nom d'une une insurrection populaire contre le régime. Des déclarations perçues comme irresponsables par une opinion publique marquée par les traumatismes de la guerre. Même dans l’hypothèse spéculative du projet de renversement du régime par une puissance étrangère, l'histoire témoigne des conséquences dramatiques de toute prétention extérieure à « libérer » un peuple par la force.
Les néoconservateurs qui ont orchestré les guerres désastreuses contre l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et la Libye – et qui n’ont jamais été tenus responsables du gaspillage inconsidéré de 8.000 milliards de dollars de l’argent des contribuables, ainsi que des 69 milliards de dollars gaspillés en Ukraine – semblent bien décidés à nous entraîner dans un nouveau fiasco militaire avec l’Iran.
On ne peut comprendre l’escalade militaro-fasciste en cours au Moyen-Orient si l’on ne connaît pas l’idéologie du gouvernement israélien. Une idéologie obscurantiste, messianique, ultra-violente, très différente de ce que nous connaissons dans l’Europe contemporaine, mais partagée par la majorité de la population israélienne.
Après avoir passé vingt mois à criminaliser le mouvement de solidarité avec la Palestine, c’est avec un regain de mépris et de hargne que de nombreux éditocrates ont commenté l’arrestation illégale des membres d’équipage de la flottille de la liberté (le Madleen) par l’armée israélienne, dans la nuit du 8 au 9 juin.
Dans la tradition internationaliste des flottilles pour Gaza et quinze ans après l’assaut du Mavi Marmara – en mai 2010, au cours duquel l’armée israélienne tuait neuf passagers –, le Madleen entendait briser le blocus israélien à Gaza, à l’instar d’autres actions de solidarité actuellement en cours. Il réunissait à son bord douze personnes, parmi lesquelles des militants, l’eurodéputée LFI Rima Hassan et deux journalistes, Yanis Mhamdi (Blast) et Omar Faiad (Al Jazeera). Dans la nuit du 8 au 9 juin, l’armée israélienne a arrêté ses passagers, dont deux sont toujours emprisonnés en Israël à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Un cargo israélien va faire escale, jeudi 5 juin, à Fos-sur-Mer, près de Marseille. Le Contship Era doit embarquer le même jour, et en secret, 14 tonnes de pièces détachées pour fusils mitrailleurs. Fabriqué par la société française Eurolinks, ce matériel militaire doit être livré à l’entreprise d’armement Israel Military Industries, révèlent Disclose et le média irlandais The Ditch.
Jean-Pierre Filiu a passé un mois à Gaza. Il publie « Un historien à Gaza », un récit qui mêle son témoignage, les voix des habitantes et habitants de Gaza et l’analyse de la guerre menée par Israël dans l’enclave.
Historien spécialiste du Proche-Orient, Jean-Pierre Filiu a passé plus d’un mois dans la bande de Gaza, fermée aux médias étrangers.
Gaza où Israël mène une guerre génocidaire, une « guerre à sens unique », écrit-il, officiellement contre le Hamas, en fait contre l’enclave et sa population, doublée d’un nettoyage ethnique assumé.
« Rien ne me préparait à ce que j’ai vu et vécu à Gaza, écrit-il. Le territoire que j’ai connu et arpenté n’existe plus. Ce qu’il en reste défie les mots. » Il avance le chiffre de « plus de 100 000 morts » depuis le 7 octobre 2023 dans l’enclave palestinienne et considère que l’anéantissement en cours « est bien pire que la Nakba », l’expulsion forcée de centaines de milliers de Palestinien·nes en 1948 au moment de la proclamation de l’État d’Israël.
Ce livre glaçant sonne aussi comme une alerte : la destruction sous nos yeux de Gaza, l’élimination en cours de la Palestine et de ses habitant·es, c’est aussi celle du droit international, la destruction de notre humanité. Le triomphe des artisans de haine, des vautours et des ignobles.
Cher Jean Quatremer,
Quelle semaine !
Mardi 20 mai, vous relayiez sur votre compte X un « article » sobrement titré « Nakba : la plus grande mystification arabe du XXe siècle », autrement dit une publication qualifiant d’imposture ce qui fait pourtant, depuis plusieurs dizaines d’années, largement consensus parmi les historiens sérieux, y compris en Israël (1), à savoir que le peuple palestinien a subi en 1947-1949 un processus d’expulsion de masse aujourd’hui connu sous le nom de « Nakba » (« Catastrophe »), félicitations à vous. Il faut dire que la fiabilité et la rigueur de l’auteur de ladite publication ne font guère de doute, lui qui, la semaine dernière, expliquait « [qu’]il faut annexer chaque parcelle [de Cisjordanie] qui a été foulée par un terroriste », s’amusait d’un ordre d’évacuation de l’armée israélienne à Gaza en le commentant d’un « Courez, ça vaut mieux », et se réjouissait de livraisons militaires étatsuniennes en Israël en affirmant que « ça fait du bien de faire le plein, on va en avoir besoin », une bien belle personne en somme.
Deleuze, à propos du sionisme et des palestiniens.
« Le sionisme, puis l’État d’Israël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, l’État d’Israël, il ne cessera de nier le fait même d’un peuple palestinien. On ne parlera jamais de Palestiniens, mais d’Arabes de Palestine, comme s’ils s’étaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance qu’ils ont menée tout seuls. On en fera les descendants d’Hitler, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le droit d’Israël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. C’est là que commence une fiction qui devait s’étendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari d’Israël, c’était de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de l’État sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique d’Israël à l’égard des Palestiniens.
Israël n’a jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il s’agissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIX° siècle : on n’exploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on n’en ferait pas une main-d’oeuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main-d’oeuvre volante et détachée, comme si c’étaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, c’est l’achat des terres sous la condition qu’elles soient vides d’occupants, ou vidables. C’est un génocide, mais où l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique : n’étant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n’est pas un génocide, dit-on, puisqu’elle n’est pas le « but final » : en effet, c’est un moyen parmi d’autres.
La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d’un lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les États-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : l’extermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut qu’en partie directement physique. Il s’agissait de faire le vide, et comme s’il n’y avait jamais eu d’Indiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant d’immigrés du dedans. À beaucoup d’égards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d’Israël. L’analyse marxiste indique les deux mouvements complémentaires du capitalisme : s’imposer constamment des limites, à l’intérieur desquelles il aménage et exploite son propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour recommencer en plus grand ou en plus intense sa propre fondation. Repousser les limites, c’était l’acte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par Israël et le rêve du Grand Israël sur territoire arabe, sur le dos des Arabes. »
« Les Indiens de Palestine », paru dans le recueil Deux régimes de fous en 1983, Editions de Minuit
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/231023/les-indiens-de-palestine
Comment Israël dissimule les preuves du nettoyage ethnique de 1948.
Depuis le début de la dernière décennie, les équipes du ministère de la Défense ont fouillé les archives locales et retiré un grand nombre de documents historiques afin de dissimuler les preuves de la Nakba.
Il y a quatre ans, l’historienne Tamar Novick a été choquée par un document qu’elle a trouvé dans le dossier de Yosef Vashitz, du département arabe du parti de gauche Mapam, dans les archives Yad Yaari à Givat Haviva. Le document, qui semblait décrire les événements qui ont eu lieu pendant la guerre de 1948, commençait ainsi :
« Safsaf [ancien village palestinien près de Safed] – 52 hommes ont été capturés, ligotés les uns aux autres, une fosse a été creusée et ils ont été abattus. 10 étaient encore en train de convulser. Des femmes sont venues, implorant notre pitié. Trouvé corps de 6 hommes âgés. Il y avait 61 corps. 3 cas de viol, dont un à l’est de Safed, fille de 14 ans, 4 hommes tués par balle. Ils ont coupé les doigts d’un d’entre eux avec un couteau pour lui voler une bague. »
[ATTENTION : certaines images violentes peuvent choquer]
« Je le dis en tant que survivant de l'Holocauste : le génocide à Gaza n'est pas commis en mon nom. La manière dont le gouvernement israélien utilise la mémoire de l’Holocauste pour justifier ce qu’il fait aux Gazaouis est une profonde insulte à la mémoire de l’Holocauste.
Je vois aujourd’hui des échos de l’Holocauste à Gaza. La déshumanisation, l’humiliation, les massacres à grande échelle, la destruction de familles et la détermination avec laquelle ils détruisent l’ensemble de Gaza ressemblent beaucoup à la cruauté des régimes fascistes et cela ne devrait pas prêter à controverse.
Ce qui est arrivé au peuple juif, l’extermination industrielle et la douleur émotionnelle invisible, est si horrible que cela ne devrait jamais se reproduire nulle part dans le monde. C'est pourquoi nous disons : pas en notre nom et plus jamais.
Le fascisme se nourrit de l’indifférence et du fait que le grand public est intimidé ou détourne le regard par instinct de conservation. Ne détournez pas le regard. Soyez courageux et du bon côté de l’histoire. »
77 ans plus tard, l'État israélien mène une seconde Nakba et veut anéantir Gaza et sa population.
Le mot «Nakba» veut dire catastrophe en arabe. Cette expression évoque le souvenir douloureux des massacres et des déplacements forcés de population commis en 1948 par l’armée israélienne. Un crime qui constitue l’acte de naissance de l’État israélien.
Héroïne d’un film sélectionné au festival de Cannes, la photojournaliste palestinienne Fatma Hassona a été tuée le 16 avril par un bombardement israélien. En compagnie de la réalisatrice Sepideh Farsi, Mediapart lui rend hommage et évoque tous les journalistes assassinés à Gaza depuis le 7-Octobre par Israël.
DepuisDepuis le 7 octobre 2023, près de deux cents journalistes palestinien·nes sont mort·es à Gaza. Tué·es par l’armée israélienne. Parmi elles et eux, la photojournaliste Fatma Hassona. « Fatem », comme on l’appelait, est morte le 16 avril dans le bombardement de sa maison, avec plus d’une dizaine de membres de sa famille.
Elle avait 25 ans, elle allait se marier, et elle documentait, inlassablement, au péril de sa vie, le massacre de toute une population, alors qu’Israël interdit l’accès à Gaza aux journalistes étrangers depuis un an et demi.
Fatma Hassona a été tuée quelques semaines avant la projection au festival de Cannes d’un film bouleversant qui lui est consacré, Put Your Soul on Your Hand and Walk (« Mets ton âme sur ta main et marche »). Un cri de liberté, un cri de résistance. Et un document historique sur l’écrasement du peuple palestinien en cours depuis plus d’un an et demi.
Ce documentaire, qui sortira en salles en septembre 2025, est l’œuvre de la réalisatrice franco-iranienne Sepideh Farsi, qui pendant un an a filmé ses échanges vidéo avec Fatma Hassona, ses yeux à Gaza.
Cannes ne pourra fermer les yeux devant les images de Fatma Hassona, qui seront exposées au Majestic Hôtel, tandis qu’une tribune signée par plus de trois cents personnalités du monde du cinéma appelle à ne pas silencier « l’horreur à Gaza ».
Une vision idéalisée de l’École, et en particulier de l’Université, en fait une sorte de sanctuaire hors du monde et de son fracas. Le génocide à Gaza sonne comme un rappel terrible à la réalité, tant l’une de ses dimensions majeures est la destruction du système éducatif palestinien. Le sociologue Sbeih Sbeih – chercheur associé à l’IREMAM – revient sur cet aspect et interroge en outre le déni de la colonialité, en particulier le refus du paradigme colonial pour penser Israël, si frappant dans les universités occidentales, et notamment françaises.
Dans la vision coloniale du monde – et, à sa manière bizarre, la vision de Donald Trump ne pourrait pas être plus coloniale – les colonisateurs européens blancs étaient des phares en difficulté de la civilisation, de la rationalité et du progrès, car confrontés à de dangereuses hordes barbares par-delà (et même, parfois, à l’intérieur) de leurs propres frontières. La violence coloniale était alors une forme indispensable d’autodéfense pour apprivoiser les explosions irrationnelles de brutalité chez les colonisé·e·s. Pour comprendre la dévotion bipartite des Etats-Unis [démocrates et républicains] envers Israël, y compris la glorification de la violence israélienne et la diabolisation des Palestiniens, ainsi que les récentes attaques de l’administration Trump contre l’Afrique du Sud noire, les étudiants activistes et les immigrants, il est essentiel de saisir cette vision du monde.
Israël a entamé la dernière étape de son génocide. Les Palestiniens devront choisir entre la mort et la déportation. Il n’y a pas d’autres options.
C’est le dernier chapitre du génocide. Il s’agit de la dernière poussée, gorgée de sang, visant à chasser les Palestiniens de Gaza. Pas de nourriture. Pas de médicaments. Pas d’abri. Pas d’eau potable. Pas d’électricité.
Israël transforme rapidement Gaza en un chaudron dantesque de misère humaine où les Palestiniens sont tués par centaines et bientôt, à nouveau, par milliers et dizaines de milliers, sous peine d’être contraints de partir pour ne plus jamais revenir.
L’Allemagne, en brandissant la Staatsräson comme justification absolue de son soutien à Israël, détourne la mémoire de la Shoah pour couvrir un génocide à Gaza. Cette posture s’accompagne d’un maccarthysme féroce contre toute voix dissidente, assimilant la critique d’Israël à de l’antisémitisme. Ce rapport de l’AURDIP explore les mécanismes de cette dérive, ses conséquences et les rares tentatives de résistance.