« Coup d’État », « dictature », « illibéralisme », des qualificatifs que l’on entend, par ci par là, depuis la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron à la suite des élections européennes. Et d’autant plus depuis la nomination de Michel Barnier en tant que premier ministre, homme issu d’une formation minoritaire à l’Assemblée nationale.
Alors, qu’en est-il ? La constitutionnaliste Eugénie Mérieau propose un pas de côté. Bien que toute cette « séquence » soit conforme, si on suit la lettre, à la Constitution de la Ve République, encore faut-il s’intéresser à la nature même de cette dernière. Et remonter à la manière dont, dès l’annonce de sa mise en place, la Ve République s’inscrit dans une logique de Coup d’État.
Aussi, et peut-être surtout, voir un peu au-delà : comprendre comment l’État d’urgence permanent, notamment sous la présidence d’Emmanuel Macron, a subvertit l’État de droit en profondeur. Si bien que la France n’a aujourd’hui rien à envier aux pays voisins qualifiés, parfois avec un certain dédain, « d’illibéraux ».
«Le peuple a, par sa faute, perdu la confiance du gouvernement… Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre?» Bertolt Brecht, La Solution,1953
Les vers ironiques de Brecht viennent d’être mis réellement en pratique par Emmanuel Macron. Son parti est passé de 2017 à 2024 de 314 à 99 député·e·s à l’Assemblée nationale. Il a été battu lors des élections européennes et des législatives de juin/juillet 2024. Lors de ces mêmes élections législatives, au second tour, un front électoral contre le Rassemblement national (RN) a été réalisé par tous les partis, sauf le petit parti de droite des Républicains (LR). Le barrage a fonctionné, déjouant tous les pronostics, le RN ne réussissant même pas à obtenir une majorité relative. La formation arrivée en tête après ce second tour a été clairement le Nouveau front populaire (NFP), suivi du «bloc du centre» et du RN.
Malgré ces résultats, on arrive, début septembre, à la formation d’un gouvernement dirigé par un vieux politicien des Républicains, Michel Barnier, qui va recycler bon nombre de responsables de la «majorité présidentielle», pour continuer la même politique et qui ne pourra survivre que par l’engagement du Rassemblement national de ne pas le faire tomber par une motion de censure.
Les macronistes ont organisé le barrage bourgeois en faisant une coalition avec le RN. Cela a abouti à la nomination de Michel Barnier.
Emmanuel Macron voulait une cohabitation avec le RN pour l’affaiblir en vue de 2027. C’était sans compter l’arrivée en tête du NFP qu’aucun politicien de droite, éditorialiste et sondagier n’avait anticipé. Après avoir réussi à se maintenir deuxième force politique en nombre de députés grâce au barrage anti-RN, les macronistes devaient donc organiser le barrage bourgeois, anti-gauche, en faisant une coalition avec le RN. Cela a pris près de deux mois et a abouti à la nomination de Michel Barnier ce jeudi 5 septembre. Qui est ce sinistre personnage et qu’est-ce que cette nomination nous dit de la période ?
Les élections ne servent plus à rien : c’est ce qu’on appelle une dictature
« Une dictature, c’est un régime ou une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais.” Cette phrase est de Macron lui-même. Nous y sommes. Macron est un Trump qui a réussi : malgré une défaite électorale cuisante et claire, ce dernier est parvenu à rejeter les trois messages de cette élection, c’est-à-dire le barrage anti-RN, l’arrivée en tête de la gauche et le désir d’une cohabitation. Il y est parvenu en faisant alliance avec le RN pour barrer la gauche et nommer un premier ministre qui assure la continuité de sa politique et de son contrôle.
Emmanuel Macron a enfin pris sa décision : Michel Barnier, vieux baroudeur de la droite, est nommé Premier ministre. Cette décision vient définitivement acter le déni de démocratie du président de la République qui, malgré des supposées consultations, a refusé de nommer Lucie Castets, la candidate de la formation politique arrivée en tête aux élections législatives. Une pratique du pouvoir contre la démocratie qui, dans le mouvement néolibéral dont Emmanuel Macron est un membre éminent, apparaît comme une constante. Le coup d’État d’Augusto Pinochet, au Chili en 1973, est un laboratoire du genre. Le premier réflexe de la junte militaire a été d’abroger la précédente Constitution pour, dans un second temps, en produire une nouvelle sur-mesure, à partir de rien, en 1980. Un héritage perpétré par Javier Milei, le président de l’Argentine. Contexte différent, méthode différente : devant l’impossibilité d’écrire une nouvelle constitution, il opte pour le contournement et la réforme. Une dynamique qui raisonne avec l’exercice du pouvoir des gouvernements sous Emmanuel Macron qui enchaînent les 49.3 et poussent à leurs limites les articles les plus autoritaires de la Ve République. Quitte à jouer avec les frontières de la légalité. Pour lutter contre cette « nouvelle raison du monde » anti-démocratique, notre invité, le philosophe Pierre Dardot, travaille autour de « l’imaginaire des communs ». Une proposition loin d’être seulement théorique : de nombreuses pratiques concrètes s’ancrent déjà dans cette logique, à l’image du mouvement des Soulèvements de la Terre.
« Tu as été un artisan déterminé et déterminant des politiques probusiness.» Lundi, Patrick Martin, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), principale association patronale du pays, a eu des mots doux pour Bruno Le Maire, ministre de l’Economie – démissionnaire – du gouvernement Macron. Dans la foulée, l’entrepreneur a fustigé le programme du Nouveau Front populaire (NFP) et deux de ses mesures phares – la hausse du Smic
Au-delà des refus d'Emmanuel Macron, un autre coup de force, bien plus grave, se déroule là où personne ne regarde. L'actuel gouvernement démissionnaire-démissionné gouverne sur le fondement d'une note de ses propres services, qui estime le gouvernement incensurable tout en lui attribuant d'importants pouvoirs de décision. Cela pourrait redéfinir le régime.