Quel est le premier caractère moral de la bourgeoisie ? Elle est la classe qui s'autorise. Et qui est prête à tout pour maintenir ses autorisations. Tout lui est permis. Y compris d'imposer le silence autour de ses autorisations. Quand l'éditorialisme indistinct exige qu'il n'y ait pas d'affaire Bayrou, il signifie une solidarité de fer – une solidarité de classe.
Régulièrement, le débat sur les inégalités sociales revient sur la table, intercalé avec celui sur les faibles salaires. Car oui, en France, dans l’un des pays qui produisent le plus de richesses au monde, il existe un très grand nombre de travailleurs pauvres, à tel point que l’Etat distribue, depuis une dizaine d’années, une « prime d’activité » destinée à arrondir les fins de mois des moins bien payés sans faire passer le patronat à la caisse. Les différences de salaires nous minent, même quand on ne regarde pas les millionnaires et les milliardaires qui nous narguent. Il y a d’abord les inégalités salariales entre femmes et hommes, énormes et qui évoluent faiblement, mais aussi les écarts entre métiers, ce qui fait que dans ce pays comme ailleurs, ce sont ceux qui font les métiers les plus pénibles (égoutiers, agriculteurs, aide-soignantes, manutentionnaires…) qui sont les moins payés. D’une façon générale, nos écarts de salaires nous frustrent et nous divisent : qui ne s’est pas trouvé face à un collègue ou supérieur hiérarchique qui, mieux payé, en faisait beaucoup moins que vous ? Pendant ce temps, les propositions pour un monde du travail plus juste sont timides : à gauche, on propose une limitation des écarts de salaires de 1 à 20… Ce qui est déjà le cas dans nombre d’entreprises et de services publics. Choisir un écart acceptable valide l’idée selon laquelle il y aurait un écart acceptable… Et s’il n’y avait aucun écart légitime ? Et si on était tous payé pareil ?
Prisée par les ONG, les colibris et les journalistes aussi bien que par les gouvernements bourgeois et les multinationales fossiles, la religion des écogestes est devenue l’entrée principale dans la cause environnementale. Pourtant, à l’examen, elle s’avère absolument délétère. L’approche sociologique démontre que l’écocitoyenneté morale accroît la violence symbolique qui pèse sur les classes populaires, et les sciences cognitives qu’elle détourne l’individu de l’action systémique aujourd’hui nécessaire. Il est donc temps de se débarrasser de ce paradigme paresseux, véritable Cheval de Troie des néolibéraux pour désagréger l’action collective.
Comment les riches ont-ils réussi à faire sécession du reste de la société ? Comment s’organisent-ils pour perpétuer la domination de leur classe sociale ? À quoi ressemble leur vie sociale au quotidien ? Réponses avec Monique Pinçon-Charlot, parce que pour lutter efficacement pour la souveraineté populaire et la justice sociale, il faut connaître l’ennemi !
Même quand on gagne, on perd : le résultat d'un système politico-médiatique qui fait barrage à toute mesure sociale. Le cordon bourgeois.
En juin dernier, les Belges ont élu leurs députés. Dans un pays divisé entre Flamands et Wallons, une diversité de partis représentants à la fois des intérêts régionaux et des idéaux politiques sont présents au Parlement, de telle sorte que la composition d’une coalition gouvernementale peut prendre du temps. C’est pourquoi le roi désigne un formateur de gouvernement, généralement le leader du parti arrivé en tête (qui n’est jamais majoritaire vu le mode de scrutin proportionnel). Celui-ci doit tenter de former une coalition qui tienne la route et, s’il n’y parvient pas, il passe la main au suivant, le plus souvent la seconde force politique représentée, jusqu’à ce qu’un gouvernement soit formé.
C’est ainsi que les choses se passent dans la plupart des pays d’Europe (Grèce, Allemagne, Espagne…). La vie politique belge a toutefois une originalité : un système de cordon sanitaire engage les partis à ne jamais composer de gouvernement avec l’extrême-droite. Montée au début des années 1990, cette pratique repose sur un constat simple : les partis d’extrême-droite ont des idées communes avec l’envahisseur nazi, ce qui justifie leur mise au ban. Cette mise au ban se fait aussi sur le plan médiatique : on n'invite pas ou peu les politiciens d’extrême-droite et on les traite différemment. Par conséquent, l’extrême-droite progresse en Belgique mais plus lentement, en particulier en Wallonie, que dans le reste de l’Europe.
Revenons en France : le cordon sanitaire à l’extrême-droite n’existe pas, bien au contraire. Le président de la République a décidé la tenue d’élections législatives au moment où l’extrême-droite était au plus haut. La plupart des médias ont aussitôt décrit sa victoire comme inéluctable, à grand renfort de sondages qui se sont tous révélés complètement mensongers. Au terme d’une campagne électorale où a eu lieu une alliance inédite de la gauche d’une part et une mobilisation citoyenne d’une grande ampleur d’autre part, les élections ont placé l’Assemblée nationale dans une situation comparable à la plupart des parlements d’Europe : aucun groupe ou alliance n’a de majorité absolue mais un groupe est bel et bien en tête, le Nouveau Front Populaire donc. Tout le monde s’était trompé, à commencer par le Président qui voulait le RN au pouvoir mais également tous les instituts de sondages et tous les éditorialistes.
Mais depuis… rien ne se passe comme dans les autres régimes politiques européens. D’abord, l’ensemble des grands médias et la classe politique dominante ont battu en brèche l’idée selon laquelle ça serait au groupe arrivé en tête de tenter de former un gouvernement. Ensuite, le Président n’a nommé personne, arguant de la prééminence des Jeux olympiques. Puis, il a commencé une série de rencontres de type “entretien d’embauche” pour trouver le bon candidat, au mépris complet du résultat des élections.
(...)
Les choses sont désormais très claires : le système politique français et sa classe dominante ont conçu un système d’apparence démocratique où il est uniquement possible de choisir entre les options qui ont sa préférence. Actuellement : la droite antisociale et colonialiste ou bien l’extrême-droite antisociale et raciste. Toute autre option qui remettrait en cause les conditions de la prospérité des possédants – régime fiscal préférentiel et détournement d’argent public, dans le cas actuel – doit être rayée du menu. C’est le cordon bourgeois : un système politique et médiatique tacite, instinctivement partagé par les membres et sous-membres de la classe dominante, qui vise à empêcher l’accession au pouvoir de toute option contraire à leurs intérêts, même lorsque cette option est modérée.
Face à l'alternative qui se décide lors des législatives anticipées, la bourgeoisie médiatique semble avoir fait son choix.
24 heures après la monumentale raclée subie par le parti présidentiel aux élections européennes et la dissolution de l’Assemblée Nationale décidée par le président Macron, celui-ci a réussi, pour la deuxième fois en deux ans, l’exploit d’unir électoralement la gauche contre lui. Sous le nom du Nouveau Front Populaire, les principaux partis de gauche, centre-gauche et gauche radicale, se sont unis pour discuter d’un programme commun, en vue des législatives anticipées, qui auront lieu le 30 juin et le 7 juillet. Comme on pouvait s’y attendre, le fameux « arc-républicain » – à savoir, la droite et l’extrême droite – nous a de nouveau fait part de ses jérémiades devant cette union. D’autre part, Ciotti et une partie des « Républicains » se proposent pour servir de force d’appoint à l’extrême droite. Rien d’inédit, si l’on regarde ce qu’il s’est passé au XXe siècle.
Les “transfuges de classe” sont des personnes qui ont changé de classe sociale au cours de leur vie, le plus souvent entre leur enfance et leur âge adulte. Cela produit en eux des sentiments parfois brutaux, puisque ce déplacement social fait connaître la honte, la culpabilité et met à jour certains mécanismes de reproduction sociale, telle que la violence du système éducatif et le snobisme culturel et social des milieux privilégiés. Le récit de cette traversée entre deux mondes sociaux est devenu un thème littéraire à succès, en particulier depuis les années 2010. Des écrivain.e.s comme Annie Ernaux (prix Nobel de littérature en 2022), Edouard Louis et, dans une certaine mesure, Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2018), mais aussi des journalistes, des chercheurs et des politiques ont publié des livres qui racontent cette transition de classe. Le thème du transfuge est parfois mobilisé dans des interviews de célébrités, qui n’hésitent pas à mettre en scène, en exagérant souvent leur ampleur, un parcours social mouvementé. Les chercheuses Laélia Véron et Karine Abiven publient ce mois-ci un essai sur le sujet, qui s’intitule Trahir et venger : paradoxes des récits de transfuges de classe. C’est un livre à la fois très documenté et très clair, qui permet d’éclairer cette question : finalement, à quoi servent ces récits de “transfuge de classe” ? Ont-ils le potentiel politique “émancipateur” que ses partisans, notamment à gauche, lui prêtent ?
Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale et des sports, enchaîne les déclarations mensongères, voire stupides et de mauvaise foi, depuis qu’elle fait partie des gouvernements d’Emmanuel Macron. Épouse d’un ex-PDG de la Société Générale et actuel PDG de Sanofi, nièce d’éditorialistes et ex-directeur de France télévision, multimillionnaire, on pourrait dire, en étant polis, qu’elle est plongée dans un grand nombre de conflits d’intérêts. On pourrait s’indigner de son attitude face à la presse, de ses mensonges répétées (elle a prétendu qu’elle avait mis son fils dans le privé car les enseignants de l’école publique étaient trop souvent absents, ce qui s’est avéré faux) et son maintien en poste malgré le scandale… Mais ce serait oublier qu’elle fait partie de la bourgeoisie : une classe dominante sûre d’elle, persuadée d’être dans son bon droit et dont les idéaux et les façons de penser sont très différents des autres. Tour d’horizon de ce qu’il se passe dans la tête d’un.e bourgeois.e.
Le cœur de la droite française a toujours battu à Versailles. Il bat aujourd'hui pour M. Emmanuel Macron, auquel le maire de la ville ressemble. Incarnation du bloc bourgeois, il godille avec élégance entre une extrême droite catholique hantée par l'islam et des classes supérieures plus soucieuses d'espaces verts, de pistes cyclables et de pièces de Molière.