On aurait préféré que ce soit un poisson d’avril : dans une décision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validé le principe de la censure arbitraire et opaque d’un réseau social. Derrière l’apparente annulation de la décision du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en réalité le mode d’emploi de la « bonne censure ». Cette décision est inquiétante, tant cette affaire aura montré l’inefficacité du Conseil d’État à être un rempart efficace contre le fascisme montant.
Entre le 16 et le 26 février, pas moins de cinq attaques ont été menées par des activistes néofascistes : quatre agressions physiques - dont deux auraient pu être mortelles - et un incendie criminel contre une mosquée. Dans l'indifférence quasi générale des médias et du pouvoir, dont la réaction a été plus que discrète. Blast revient sur ces dix jours où l'extrême droite n'a jamais semblé aussi sûre d'elle-même et de son impunité.
Lorsque des néonazis poignardent un militant antifasciste, le ministre de l’Intérieur réussit donc l’exploit, d’incriminer ce qu’il appelle « l’ultragauche » - et cela rappelle bien sûr un précédent : lors de son premier mandat, après l’assassinat d’une jeune militante antifasciste américaine à Charlottesville par un néonazi en 2017, Donald Trump avait de la même manière renvoyé dos-à-dos les fascistes et antifascistes, en condamnant des violences venant, je cite, « de plusieurs côtés»
Il devrait commencer à être assez clair, quand des milices défilent dans Paris au cri de « Paris est nazi », et poignardent des militants de gauche, que ce vers quoi nous nous dirigeons mérite d'être appelé « fascisme ». C'est clair, et en même temps pas encore si clair. Tant qu'un concept n'en aura pas été proposé, le fascisme restera une évocation historique intransposable.
Le plus souvent, lorsque nous tentons de déchiffrer la fascisation en cours, nous convoquons le passé : qu’est-ce que le fascisme ? Qu’était le fascisme ? Quels sont les signes que nous décelons dans le présent qui pourraient nous permettre de prévoir une re-dite historique ? Si ce travail est aussi précieux que nécessaire, il peut néanmoins charrier son lot de biais et d’impensés. Le grand mérite du ticket Trump/Musk est de nous obliger à penser le fascisme depuis le futur, c’est-à-dire depuis ce que les évolutions socio-techniques permettent d’innovations et d’hybridations politiques comme subjectives du point de vue de la domination. Pour le dire plus simplement, se battre contre le présent implique d’examiner le passé tout en se donnant les moyens d’anticiper l’avenir. Ces quelques postulats quant à la guerre perpétuelle de Frédéric Neyrat, tentent précisément cela et se liront comme une continuation par d’autres moyens de l’article de Norman Ajari dans nos pages la semaine dernière.
Elon Musk qui commet un salut hitlérien le jour de l’investiture de Donald Trump… à quelques jours d’un nouvel anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Vladimir Poutine…
2025 a à peine enterré Jean-Marie Le Pen, que le danger pour les démocraties menace, avec parfois des visages nouveaux. Une « Internationale réactionnaire », selon la formule d’Emmanuel Macron, s’apprête-t-elle à redéfinir le prochain quart de siècle ?
Ou, si on préfère citer Gramsci : sommes-nous désormais entrés de plein pied dans ce moment de bascule où « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres» ?
Pour en discuter, Extrêmorama reçoit trois historiens soucieux de mettre le moment présent en perspective : Sylvie Laurent, américaniste, bien connue de nos services pour ses travaux des questions sociales et raciales aux États-Unis ; Adrien Nonjon, historien des extrêmes droites de Russie et d’Ukraine ; Grégoire Kauffmann, fin connaisseur des extrêmes droites françaises.
Avec nous, également, deux journalistes au travail exceptionnel sur l’extrême droite : Marine Turchi de Mediapart et Christophe-Cécil Garnier, rédacteur en chef adjoint au pôle enquête de StreetPress.
Deux heures en direct, sur Mediapart et Au Poste
Le fascisme est là. Avec la panique, une certaine confusion règne et la question de ce qui est fasciste ou pas se pose de manière récurrente. Par quels critères faut-il définir le fascisme ? C’est à cette question que l’historien Paxton répond, dans un ouvrage magistral : Le fascisme en action. À l’aune de cette lecture, jetons un œil aux premiers décrets présidentiels de Donald Trump.
Le 20 janvier 2025, lors de la cérémonie d’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le multimilliardaire Elon Musk a sidéré le monde en ponctuant son discours décousu et hébété de deux saluts fascistes pleins de franchise et de détermination. Musk n’est pas seulement un homme d’affaires et un politicien : il travaille activement à devenir une figure de la culture populaire, un personnage, voire une icône. Ce sieg heil survient après des mois de tentatives peu subtiles de séduire les gamers aussi bien que les jeunes néofascistes de l’alt-right. Quelle est la signification culturelle et historique de son geste ?
D’autres milliardaires, comme le CEO de Meta Mark Zuckerberg, sont des convertis récents du trumpisme. Sa profession de foi anti-woke et son apologie de la masculinité traditionnelle au micro du podcasteur conservateur Joe Rogan dans le sillage de la victoire électorale du candidat républicain ressemble davantage à une opération opportuniste qu’à un chemin de conversion. Musk aussi bien que Zuckerberg sont des démocrates d’hier. Mais là où ce dernier virera probablement encore sa cuti aussitôt que le vent électoral tournera, Elon est parti trop vite et trop loin pour espérer un jour faire machine arrière sans dommages. Non seulement il a fait don de fortes sommes à des organisations d’extrême-droite européennes comme l’AFD allemande ou Reform UK au Royaume-Uni, mais il apporte régulièrement son soutien à des figures plus radicales, en faisant par exemple du hooligan britannique Tommy Robinson l’un de ses protégés. Il est donc incontestable que les convictions politiques de l’auteur de ce salut ne sont pas incompatibles avec un programme fasciste, puisqu’il soutient activement, financièrement et médiatiquement, des mouvements d’extrême-droite sans concession à travers tout l’occident.
Après une saison 100% Au Poste, la S02 d’Extrêmorama signe la rencontre entre Au Poste et la maison… Médiapart. Une sainte et modeste alliance d’indés contre le péril facho. Toujours, et plus que jamais co-animé par l’historien Nicolas Lebourg et David Dufresne, cet Extrêmorama va disséquer l’intense combat mené par la fachosphère et ses troufions sur Internet.
Dans ce lundisoir nous poursuivons notre enquête sur le fascisme qui vient avec le philosophe Michel Feher. Son dernier livre Producteurs et Parasites, conceptualise l’imaginaire du RN comme « producerisme », soit l’idée selon laquelle les improductifs sont des parasites et qu’ils doivent être épurés du corps social, nous reviendrons avec lui sur la manière dont la fascisation consiste à passer d’un parasitisme productiviste général (de droite) à un parasitisme racialisé (d’extrême-droite).
Le saviez-vous, « bleu, blanc, rouge, la France aux français » n’est pas un slogan du Front National. En tous cas, pas un slogan officiel, parce qu’il n’est pas rare de l’entendre dans la sphère nationaliste. Mais alors si il n’est pas l’apanage du principal parti d’extrême droite français, d’où vient-il ?
On tire le fil ensemble pour découvrir ça.
Le ralliement de l’ancien « chasseur de criminels nazis » Serge Klarsfeld aux héritiers de Vichy et de l’OAS rappelle ce qui s’est passé en France juste avant la Deuxième Guerre Mondiale. En pleine crise sociale et idéologique, le patronat, les partis politiques de droite et de nombreux intellectuels avaient soutenu le nazisme comme « solution ». Et beaucoup avaient poussé jusqu’au bout la collaboration en participant plus tard activement à la « Solution finale ».
Ce qui semble nouveau en 2024, c’est que de nombreuses personnalités juives prétendant parler au nom des Français juifs, participent à pareil processus. Klarsfeld a une position extrême mais il n’est pas isolé : le grand rabbin Korsia et la direction du CRIF contribuent à une redéfinition de l’antisémitisme en considérant que c’est la gauche (et en particulier la France Insoumise) qui serait antisémite alors que le Rassemblement National serait devenu un parti « républicain ». Un oubli du passé ? Et beaucoup de personnalités juives, sans doute contaminées par leurs nouveaux amis, versent dans le racisme le plus débridé.
Culture de droite est le dernier ouvrage publié du vivant de Jesi. Les concepts de Jesi forgés dans d’autres livres sont ici présents, celui, notamment de « machine mythologique », et fonctionne comme une méthode originale de compréhensions des mythologies de la droite. Qu’est-ce que cette « machine mythologique » et comment Jesi a-t-il construit sa méthode ?
« Farhrenheit 451 : température à laquelle le papier s’enflamme et se consume […] réduis-les en cendres, et puis brûle les cendres. C’est notre slogan officiel. »
À l’école, nous sommes nombreux à avoir lu ces mots tirés du roman « Farhrenheit 451 », de Ray Bradbury. Paru après la seconde guerre mondiale, ce récit dystopique dénonçait le totalitarisme et le culte de la bêtise, incarné par la destruction des livres par l’État. Une référence au fascisme, que l’on pensait alors avoir enterré.
Alors que l’État durcit sa criminalisation des mobilisations en soutien de la cause palestinienne, le journalisme dominant légitime ce cours autoritaire et décuple la pression. Dans le premier volet de cette série consacrée au maccarthysme, nous revenons sur le traitement journalistique des interdictions de conférences de La France Insoumise et des convocations policières de deux de ses membres – Mathilde Panot et Rima Hassan – pour « apologie du terrorisme ». Une fuite en avant médiatique.
Où va la France ? Des chercheurs, des étudiants, des militants, des élèves, des syndicalistes et des politiques ont été sanctionnés, certains convoqués, d’autres condamnés pour « apologie du terrorisme »… Des manifestations ont été interdites, des conférences annulées, des films déprogrammés. L’État, la justice et certains corps multiplient les procédures qui - depuis plus de 6 mois, sur fond de guerre et de massacres à Gaza, laissent à voir une forme de criminalisation des expressions de solidarité envers la Palestine. Avec le dévoiement de la notion d’apologie du terrorisme se profile le dévoiement des droits humains les plus fondamentaux comme ceux de la libre expression, de la libre manifestation et de libre association. Le rapport annuel d’Amnesty international qui vient de paraitre dresse précisément un rapport accablant des droits humains en France. Il alerte sur une situation dégradée. Ce rapport, s’il est « un signal d’alarme pour rappeler aux États qu'ils sont responsables de la situation des droits humains dans leur pays est aussi un moyen de rendre hommage au travail des journalistes, des militants et militantes et des défenseur.es des droits humains qui luttent courageusement pour un monde plus juste et plus égalitaire. » C’est en ce sens aussi que nous avons décidé aujourd’hui de donner, dans ce contexte particulièrement inquiétant, la parole à des infatigables avocats, défenseurs des libertés publiques et des droits : Raphaël Kempf, Elsa Marcel et Vincent Brengarth.
En mai 2022, Blast diffusait une enquête signée Thierry Vincent et Antoine Etcheto sur la menace fasciste que constituent les groupuscules d'extrême droite un peu partout en France. Cette enquête mettait au jour la présence de ces factions sur le territoire. Près de deux ans après cette enquête et malgré la dissolution de certains groupes, la menace est plus que jamais d'actualité. Les récents événements qui ont marqué l'actualité ces derniers mois, comme le meurtre de Nahel ou les projets d'installation de camps de migrants en Bretagne ont permis à ces groupes d’ultradroite de se renforcer et de s'organiser de façon plus étroite.
L’histoire de l’entre-deux guerres est généralement réduite à un affrontement, plus ou moins ouvert, entre « démocraties libérales » et régimes « totalitaires ». Cette grille de lecture oblitère la véritable lune de miel entre les élites libérales européennes et le Duce Benito Mussolini durant la première décennie de son règne. Dans The Capital Order. How Economists Invented Austerity and Paved the Way to Fascism (University of Chicago Press, 2022), la chercheuse Clara Mattei analyse la similitude entre les politiques économiques de la Grande-Bretagne libérale et de l’Italie fasciste durant les années 1920. Dans ces deux pays, elles avaient pour fonction de réprimer les protestations des travailleurs – qui, suite à la Première guerre mondiale, menaçaient d’ébranler l’ordre capitaliste. Aux côtés des matraques, une arme redoutable fut déployée, en Angleterre comme en Italie : « l’austérité »